Ovide Canseliet, Président du Musée de la Vie Rurale de Huissignies, vous propose de découvrir l’histoire du crossage
I. Le crossage - Introduction
« Cholèèè…te », … « cholèèè…te »… !
C’est l’avertissement tonitruant qui domine largement l’ambiance bruyante provoquée par les hurlements de joie, les exclamations admiratives, les quolibets railleurs, les claquements des sabots et des soules rebondissant sur les pavés ou frappant les tonneaux installés devant les portes des estaminets.
Tout ce charivari se transmet de rues en venelles, de placettes en ruelles dans les hameaux de Vaudignies, Beloeil, Blaton, Basècles, Bonsecours, Bernissart, …, France du Nord …, mais surtout de Chièvres qui est devenue « La Mecque » du « crochage à l’tonne du mercredi des chennes » …
Cette forme de crossage, c’est à peu près tout ce qui reste d’une forme de jeu, mais parfois aussi de sport, qui a pourtant une longue histoire. Il est très vraisemblable que dès que l’homme a eu une boule à sa disposition, il ait été tenté de la lancer, de la faire rouler, de la frapper avec la main, avec le pied, avec un bâton ou tout autre accessoire. Toutes ces activités ludiques ont évolué pour arriver à des formes de jeu puis de sport plus élaborées comme la balle pelote, le basket, le volley, le football, la pelote basque, le billard, le hockey, le polo, le cricket, le croquet … mais aussi des formes plus nobles comme le tennis, le golf … et … notre simple crossage qu’on a souvent appelé « golf du pauvre » …
Textes de Monsieur Ovide Canseliet
II. Le crossage et son histoire
Notre propos n’est pas de retracer son histoire et son évolution.
D’éminents historiens et folkloristes comme Walter Ravez à Tournai, Marcel Gillis à Mons, J. J. Jusserand en France et, dans notre pays d’Ath : Jules Deuvert, Maurice Van Haudenard, René Meurant et, plus près de nous, notre ami Gilbert Smet, ont étudié le sujet et publié des études bien documentées.
Les origines remonteraient au jeu de mail médiéval. Certains historiens pensent même que ce jeu proviendrait de l’Orient et serait arrivé chez nous par la route de la soie ou au retour des croisades.
Au XIVe siècle, dans les « Riches heures du Duc de Berry », une superbe enluminure nous montre des gentilshommes « taper » la soule en contrebas des murs de la ville.
Au XVIIIe siècle, à Ath, une ordonnance interdit de « crocher » dans les rues, sur l’esplanade, les remparts, les cimetières et places publiques.
Un siècle plus tard, Emile Zola, dans son célèbre « Germinal » décrit avec précision une partie de crosse entre quatre mineurs dans la région de Douai.
Les repères ne manquent pas et on peut suivre les différentes étapes de ce long parcours.
Textes de Monsieur Ovide Canseliet
III. Le crossage et ses différentes formes :
Sa forme la plus sportive, c’est le « crossage en plaine » que l’on appelle aussi crossage en long. Les crosseurs doivent atteindre un but déterminé en frappant le moins de coups possible et en parcourant parfois de longues distances sur des sols irréguliers ou des labours très lourds. Il fallait donc une bonne condition physique pour pratiquer ce sport.
Le « crossage à la cible » a pour objectif de toucher une planche ou un poteau avec la soule que l’on envoie. Chaque joueur dispose d’un nombre déterminé de cholettes, celui qui a atteint le but le plus grand nombre de fois remporte la partie.
Le « crossage au maillet » ou au « bersault » se pratiquait souvent dans la cour d’un café ou dans la salle des fêtes du village. Il s’agissait d’abattre, avec sa soule, les « mouchons » qui étaient fixés sur une perche, semblable à celles utilisées pour le tir à l’arc, mais placée à l’horizontale.
On cite encore une autre forme de crossage dénommée « à longueur de fût » pratiquée à l’intérieur du café. L’objectif était d’atteindre les quatre pieds d’une table. C’était donc un jeu d’adresse et de précision … à pratiquer avec modération …
Enfin, le « crossage à l’tonne », le seul qui subsiste encore aujourd’hui dans la région, qui se pratique en rue avec, comme objectif d’atteindre un tonneau placé devant les multiples cafés ou buvettes ouvertes pour la circonstance par des associations sportives et culturelles de la localité.
Textes de Monsieur Ovide Canseliet
IV. Le crossage - Quand se déroule-t-il?
Le crossage en plaine se pratiquait à partir de la fin de l’automne, lorsque les champs avaient été débarrassés des pommes de terre, des maïs et des betteraves, jusqu’en mars-avril, avant que les semis d’hiver et de printemps ne reprennent vigueur. Mars était certainement le mois privilégié. Un temps sec, un peu ensoleillé avec un sol légèrement gelé, était le moment le plus propice pour la pratique de ce sport. Pour le crossage à l’tonne, il n’a lieu, dans nos régions, que le Mercredi des Cendres. Autrefois, d’autres dates étaient aussi retenues : une fête locale à la Saint-Antoine, patron des crosseurs. On raconte que certains cercles anticléricaux auraient fixé cette date de crossage du Mercredi des Cendres, avec ses inévitables libations par réaction aux « mandements de Carême », obligeant les chrétiens à « faire maigre » ce jour-là … !
Textes de Monsieur Ovide Canseliet
Sources : http://crossage-blaton.skyrock.com
IV. Le crossage - Le crosseur et sa tenue:
Pour le crosseur en plaine, sa tenue est d’abord conditionnée par les prévisions atmosphériques. Si la température est relativement douce, un gros pull de laine est suffisant. Une casquette ou un bonnet, une chaude écharpe complètent la partie supérieure de son équipement. Par temps froid et en cas de gelée, une grosse veste bien chaude lui permet d’affronter les rigueurs de l’hiver. Mais il faut qu’elle soit suffisamment ample pour lui permettre de faire de larges et brusques mouvements de bras sans ressentir la moindre gêne. De grosses bottines traditionnelles, à la fois solides, souples et imperméables lui permettent de trottiner sur tous les types de terrain. Autrefois, la tenue traditionnelle du paysan : le pantalon de gros basin, le sarrau bleu, la casquette de soie noire, et le mouchoir rouge à pois blancs autour du cou, servait aussi pour les parties de crossage. Le crosseur « à l’tonne » d’aujourd’hui a bien sûr adopté les tenues actuelles. Des chaussures de sport, souvent de marques réputées, le blue-jeans traditionnel, un parka chaud et souple et une coiffure originale, voire ridicule, complètent l’équipement du « crocheu ». Les groupes d’étudiants exhibent évidemment leur cache-poussière, autrefois blanc, portant des graffitis et croquis de toutes sortes et de toutes couleurs en même temps que leurs longues pennes saturées d’insignes et de breloques de toutes les formes. D’autres groupes arborent parfois une tenue en rapport avec leur profession, leur sport ou leur club favori. Il n’est pas rare non plus que quelques participants conservent la tenue excentrique et bariolée du carnaval qu’ils ont fêté la veille …
Texte de Monsieur Ovide Canseliet